Discours de Delphine Bürkli, Maire du 9e arrondissement de Paris, à l’occasion de la pose de la plaque en mémoire du chanteur, auteur-compositeur franco-arménien Charles Aznavour - 22, rue de Navarin à Paris 9e - Jeudi 16 mai 2024

Évènement

Mise à jour le 17/05/2024

"Nous sommes réunis ce matin, en bas de l’immeuble qui a vu grandir Charles Aznavour. Cette rue était son terrain de jeu. Il menait ici une vie simple et modeste, élevé dans une famille arménienne, aimante et engagée. Il aurait eu 100 ans le 22 mai prochain. Vous les jeunes de l’école de la Victoire et du collège Condorcet, vous ne l’avez sûrement pas connu ou très peu, c’était un monsieur déjà très âgé lorsque vous êtes né, peut-être avez-vous entendu des chansons de lui, des airs célèbres … Il était important pour nous que vous soyez présents à cette cérémonie, pour vous transmettre sa musique et ses paroles qui appartiennent aujourd’hui à notre patrimoine et honorer la mémoire de cet immense artiste et comédien, qui nous a quittés en 2018.

Important, je l’ai dit, parce que son héritage est non seulement bien vivant mais continue d’inspirer les jeunes générations d’artistes à l’instar de Grand Corps malade, un artiste que vous connaissez probablement, qui sort un film sur lui « Monsieur Aznavour » à l’automne prochain.

Cette cérémonie aujourd’hui vient clore un centenaire célébré depuis l’été dernier à la mairie du 9e. Pour cet enfant qui a grandi dans ce quartier et qui installera ses bureaux d’artiste rue Rossini. Tout au long de l’été 2023, il y a presque un an, nous avons accueilli à la mairie du 9e l’exposition « Aznavour par Kasparian » qui mettait en lumière des clichés inédits du grand Charles Aznavour, pris sur toutes les grandes scènes du monde, en Arménie et dans l’intimité, par notre très cher ami Roger Kasparian qui nous a hélas quitté récemment et à qui nous pensons affectueusement, mis en scène par sa fille Lydia qui nous fait l’honneur de sa présence aujourd’hui. Soyez-en remerciée.

Héritier d’une histoire familiale douloureuse, et de parents ayant caché des juifs pendant la seconde guerre mondiale, toute sa vie Charles Aznavour se plaça du côté de la paix. Il symbolise tout ce qui nous est cher : l’amour de la France, de l’universel, de la langue française, le goût du verbe et la passion des mots, la capacité à faire de la place à la différence, et l’amitié sinon la fraternité qui lie nos deux pays, chère Hasmik Tolmajian.

Alors en ce jour important, je tiens à remercier toutes celles et ceux, qui ont œuvré en coulisses pour rendre possible cette pose de plaque, à commencer par les copropriétaires du 22 rue de Navarin, en particulier à Julie Gautron et Michèle Dréjean. Je veux remercier Fabrice Meunier et Taline Durman du collège Condorcet. Vous avez accompagné vos élèves dans un travail, tout au long de l’année scolaire, sur les figures de Charles Aznavour et de Missak Manouchian. Merci à vous Chère Olivia Rafik d’avoir volontiers accepté d’accompagner vos 24 élèves sur les traces de Missak Manouchian au Mont Valérien et au Panthéon grâce au beau partenariat formalisé avec l’ONAcVG de Paris que je tiens à saluer. Et à vous tous ici présents en particulier les élèves, je vous adresse mes chaleureux remerciements.

Quoi de mieux que de nous retrouver ici à Paris en ce 16 mai 2024 pour faire vivre la mémoire de celui qui aimait et chantait Paris au mois de mai. Charles Aznavour était le fils de Micha et Knar Aznavourian, apatrides ayant fui le premier génocide du 20e siècle évoqué par Apolline Gillig, Lilly-Rose Ammary, Eliott Boulier Djian, et Luc Roberts, élèves de l’école de la Victoire. Ses parents ont choisi de poser leurs valises dans ce modeste appartement du 9e arrondissement, non loin du square Montholon, des rues Bleue et Trévise qui forment « La petite Arménie », ce quartier emblématique du 9e qui a ouvert ses bras aux réfugiés arméniens après 1915, un quartier réputé pour sa tradition de terre d’accueil pour la diaspora arménienne, dépositaire de ce peuple tombé « sans bruit, par milliers, par millions sans que le monde bouge ». J’en profite pour saluer nos amis de la Maison de la culture arménienne abritée rue Bleue, où Charles Aznavour aimait tant venir déjeuner les spécialités culinaires arméniennes.

Né il y a un siècle sans une goutte de sang français, dans un hôpital pour indigents sur l’autre rive de la Seine loin de sa « tendre Arménie » fuie par ses parents aux « noms difficiles à prononcer », Shahnourh Vaghinag Aznavourian est devenu sans conteste un des visages, si ce n’est l’un des plus beaux de notre nation mais aussi une figure universelle ayant raflé tous les prix qu’ils soient français ou internationaux.

Tout comme Missak Manouchian, entré au Panthéon le 21 février dernier, auprès de qui Charles Aznavour apprit à jouer aux échecs et le goût de la poésie, il fait partie de ceux qui deviennent Français par la langue parlée et aimée.

De cette adresse du 22 rue de Navarin, Charles Aznavour, premier à avoir chanté sur les minorités victimes de « lazzis » et de « quolibets » livra bien plus tard quelques souvenirs : « Au rez-de-chaussée vivait un couple d’homosexuels juifs. Ma sœur jouait des morceaux de musique juive pour eux ».

Le 22 rue de Navarin fut à la fois un refuge et un havre de solidarité. Micha et Knar Aznavourian ouvrirent leur foyer au péril de leur vie, aux juifs, aux Arméniens et aux Résistants, parmi eux : Missak et Mélinée Manouchian, avec qui ils partageaient l’expérience de l’exil mais également des idéaux communs.

Celui qui était certain de conquérir Paris, a fait bien mieux : il a conquis non seulement le cœur des Français, celui des Arméniens mais également le monde entier devenant pour chacun de nous, une figure familière et un ami. S’il ne correspondait pas aux critères de succès qu’il s’imaginait, il a su faire mentir le destin non sans un travail acharné, parvenant à se hisser en haut de l’affiche pour l’éternité. En 70 ans de carrière, ce fut 1300 chansons écrites puis chantées en 8 langues sur tous les continents, du Liban au Mexique en passant par l’Australie.

Honorer Charles Aznavour, c’est célébrer le rêve français. Né par hasard dans le Paris de l’entre-deux-guerres de parents apatrides, ni son physique ni sa voix ne le prédestinaient à épouser la carrière qu’on lui connait. Et pourtant, à force de travail et de ténacité, il est parvenu à tutoyer les étoiles. La France fut une chance qu’il a su saisir. Il a su lui rendre en transmettant son expérience aux jeunes artistes dont il « voulait paver la route pour qu’ils n’aient pas les difficultés qu’il a eues ».

A celui qui clamait : « il faut boire sa jeunesse jusqu’à l’ivresse », prenez-le au mot : profitez de votre jeune âge pour vous ouvrir un champ des possibles et développer votre curiosité qu’elle soit culturelle, littéraire, sportive ou encore artistique. Et inspirez-vous de son parcours fait de persévérance et de courage qui vous emmènera comme lui « au pays des merveilles »!"